Déclaration de la présidente du jury
A partir des propositions formulées par les experts indépendants, le jury a eu la tâche stimulante et exigeante de définir un genre de « Leitmotiv » pour l’état des lieux qu’il dressait de la scène musicale suisse. Il lui est apparu que tous les musiciens nominés par le jury avaient un dénominateur commun: l‘innovation. Des idées reprises du passé aux plus récents travaux des pionniers de la musique expérimentale en passant par les expériences radicales menées à partir d’un spectre sonore volontairement limité, la liste des artistes désignés montre la vitalité de la musique suisse, sa capacité à se renouveler. L’accent mis sur l’innovation n’a toutefois pas occulté l’importance donnée à des critères tels que la qualité artisanale de la musique, sa relation à la Suisse et à ses différentes cultures régionales, la créativité et la tradition.
Graziella Contratto, présidente du jury
Né près de Berne en 1967, Reverend Beat-Man, de son vrai nom Beat Zeller, est une valeur établie dans l’univers de la musique. A l’âge de 13 ans, il fait ses premiers pas de chanteur et de musicien. Il fonde le groupe « The Monsters » en 1986 et son propre label, « Voodoo Rhythm Records », en 1992. Avec The Monsters, Zeller crée son propre genre musical, un mélange de psychobilly et de garage punk qu’il fait connaître dans plus de mille concerts en Amérique du Sud, au Japon, en Australie, aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde. Qu’il se produise dans de petits clubs ou sur de grandes scènes, le chanteur des Monsters envoûte son public. Mais sa notoriété, Zeller la doit aussi pour beaucoup au travail qu’il accomplit avec son label, « Voodoo Rhythm Records », en se distinguant comme un promoteur courageux d’artistes musicaux novateurs de la scène expérimentale. En Suisse, il a été récompensé en 2007 par le canton de Berne.
Depuis sa création en 1998 par Jürg Henneberger, Christoph Bösch et Daniel Buess, l'Ensemble Phoenix de Bâle expérimente des approches passionnantes dans le domaine de la nouvelle musique. L'ensemble s'est spécialisé en particulier dans la musique électronique, les projets transversaux, le théâtre musical et les premières, où il ne cesse d'explorer et de redéfinir le concept de la « nouvelle musique ». L'Ensemble Phoenix de Bâle se consacre à des compositeurs et à des auteurs comme Zbigniew Karkowski, Helmut Oehring, Alex Buess et Dror Feiler, pour n'en citer que quelques-uns. Depuis sa création, il est pensionnaire de la « Gare du Nord » à Bâle. Des tournées en Chine, en Amérique du Sud, aux Etats-Unis et en Europe en ont fait une valeur sûre de la scène musicale. En lançant le concours « Phoenix Trabant », l'ensemble a créé une plateforme qui offre à de jeunes compositeurs l'occasion de s'exprimer sur une œuvre importante de l'histoire de la musique.
Hans Kennel est né à Schwytz en 1939. Il apprend la trompette classique aux conservatoires de Fribourg et de Zurich. Dans les années soixante, il est célébré comme un pionnier du jazz et joue avec de grands noms comme Kenny Clarke, George Gruntz et Irène Schweizer, puis monte son propre groupe de jazz, Habarigani Brass, reconnu internationalement. Vingt ans plus tard, Hans Kennel, qui est issu d'une célèbre famille de musiciens schwytzois œuvrant dans la musique populaire, retourne aux sources. Il fonde le quatuor de cors des Alpes Mytha et le groupe Alpine Jazz Herd (devenu ensuite Alpine Experience) qui, tous deux, en mêlant sonorités traditionnelles et envolées du jazz, s'établissent comme des références de la nouvelle musique populaire dans les années nonante. Kennel s'y sert non seulement de la trompette, mais aussi du cor des Alpes et de la voix. En 1998, il reçoit le prix culturel de Suisse centrale en récompense de son œuvre.
Né à Saint-Gall en 1952, Norbert Möslang est luthier. Très vite, il s'impose comme musicien, compositeur et inventeur de sons. Il se fait connaître avec sa « musique de bruits », qu'il met en scène pendant trente ans à partir de 1972 avec Andy Guhl dans le duo « Voice Crack ». Il y utilise des produits électroniques grand public bon marché, tels que des lampes de poche, des téléphones ou des interrupteurs, avec lesquels il produit des sons surprenants et parfois très poétiques. Ce concept du « hardware hacking » est devenu célèbre durant la dernière décennie, et Möslang en est considéré comme l'inventeur. Il s'est produit au Japon et aux Etats-Unis et a réalisé en 2011 l'installation sonore de l'église San Stae lors de la Biennale de Venise. Il a déjà été récompensé à plusieurs reprises pour son travail de compositeur de musiques de films. Il a notamment reçu le Swiss Film Award 2010 et le Cinema Eye Award New York 2011, décernés tous deux pour le documentaire «Le Chant des Insectes» de Peter Liechti.
Julian Sartorius est batteur et artiste sonore. Après avoir enregistré le deuxième album de l'auteure-compositrice-interprète zurichoise Sophie Hunger en 2010, il ouvre un blog sur lequel il enregistre chaque jour, une année durant, un rythme nouveau avec divers objets. Il réussit à sortir des sons étonnants d'une brosse à dents électronique et à faire chanter une chasse d'eau. A chaque fois, il parvient à réinventer la sonorité de ces objets. Sa créativité explose également dans les quelque 140 concerts qu'il donne chaque année. Il peut, à lui seul, captiver le public avec ses rythmes sonores pendant toute une soirée. Quand il joue avec d'autres musiciens, comme le trio Colin Vallon ou le Britannique Merz, il surmonte avec brio la difficulté de se fondre dans un ensemble et de trouver sa propre voie. Sartorius a reçu notamment le prix culturel de la Ville de Thoune en 2007 et le « Coup de Cœur » du canton de Berne en 2009.
Né à Viège en 1976, Andreas Schaerer vit à Berne. Beatboxer et chanteur, il fait partie des artistes les plus talentueux d'Europe. Il peut non seulement imiter à la perfection toute une gamme de percussions, mais fait preuve aussi en tant que chanteur d'une polyvalence qui est sans égale. Qu'il imite un ténor d'opéra, un chanteur de death metal ou un chanteur pop traditionnel, il se montre convaincant. Il se produit chaque année avec divers groupes dans plus de 120 concerts durant lesquels il fait la démonstration de ses talents. Parmi ses projets actuels, on citera: Hildegard Lernt Fliegen, Rom/Schaerer/Eberle, Andreas Schaerer & Lucas Niggli, Das Beet et Schaerer/Oester. En parallèle, il se produit régulièrement avec de grands noms du jazz et de l'improvisation, dont Bobby McFerrin et le Quatuor Arte. En 2008, il reçoit avec le groupe Hildegard Lernt Fliegen le prix de jazz de la Banque cantonale de Zurich.
L'ensemble «Steamboat Switzerland» a été fondé en 1995 par le batteur Lucas Niggli de Uster, les deux zurichois Dominik Blum (orgue Hammond) et Marino Pliakas (E-bass). Explorateur de la musique contemporaine, il évolue entre les styles les plus divers. La performance musicale du trio ne se limite pas à l'interprétation de compositeurs (ex. Felix Profos, Michael Werthmüller, David Dramm), mais elle comprend aussi des passages improvisés entraînants.
Depuis sa création, «Steamboat Switzerland» tourne en Europe et aux Etats-Unis et se produit aussi dans des festivals internationaux (MaerzMusik Berlin, Donaueschingen, Huddersfield à Vancouver) et des clubs de la scène rock underground. Le trio a reçu en 2000 le prix annuel de la ville de Zurich. Leur œuvre comprend 8CDs/LPs.
Né à Altendorf (SZ) en 1979, Marcel Oetiker a accompli ses études à la Haute école des arts de Berne. Premier Suisse à avoir effectué une formation en accordéon schwytzois, il se concentre depuis sur cet instrument. Il élargit cependant les possibilités musicales de celui-ci à d'autres instruments et transpose les mélodies traditionnelles de l'accordéon schwytzois à d'autres styles et compositions. Oetiker travaille comme compositeur, musicien indépendant et professeur de musique et se produit aussi bien seul que dans le trio Marcel Oetiker. Il a reçu en 2013 le prix d'encouragement de la culture du canton de Schwytz pour son travail musical.
Irene Schweizer est née à Schaffhouse en 1941. Elle est considérée comme la cofondatrice du Free Jazz européen. Au cours de sa formation largement autodidacte, elle a travaillé dans les années soixante comme pianiste avec de nombreux musiciens internationaux, dont Louis Moholo, Pierre Favre et Han Bennik. Son œuvre musicale unique est documentée dans plus de 30 CD de son propre label, « intakt ». Irene Schweizer s'est produite dans tous les festivals de jazz et de musique qui comptent et a réussi à se faire un nom dans le monde du jazz, très masculin, grâce à ses talents de musicienne. Sa carrière internationale remarquée et l'importance de Schweizer pour le jazz ont été saluées en 2005 dans le documentaire de Gitta Gsell. Irene Schweizer a reçu en 1990 le prix culturel de Schaffhouse en l'honneur de son œuvre musicale.
Franco Cesarini est né à Bellinzone en 1961. Il entame des études de flûte traversière et de piano d’abord au conservatoire Giuseppe Verdi de Milan, puis à la Haute école de musique de Bâle. Il poursuit sa formation en composition, théorie et direction d’orchestre à vent avec Felix Hauswirth, Robert Suter et Jacques Wildberger. Entre 1989 et 2006, il enseigne à la Haute école de musique de Zurich. En 2001, il est invité comme professeur par l’Université d’Etat du Sud-Est du Missouri de Cape Girardeau aux Etats-Unis. Depuis 2001, il enseigne au Conservatoire de Lugano, est à la tête du « Civica filarmonica di Lugano » et est le chef d’orchestre de l’« Orchestra di fiati della Svizzera Italiana ». Il a travaillé comme compositeur pour plusieurs orchestres internationaux, dont l’« Orquesta Sinfónica Nacional de Cuba » et le « Nantes Philharmonie ». Cesarini a été récompensé de plusieurs prix, dont le Prix Pro Helvetia de la Fondation suisse pour la culture et le prix de la Fondation Stephan Jäggi.
Corin Curschellas est née à Coire en 1956. Après une formation d'enseignante pour le degré primaire, elle étudie l'art dramatique et la musique à Zurich. Elle a travaillé pendant 30 ans à l'étranger, notamment à Paris et à Berlin, avant de rentrer à Rueun (GR). Depuis, la chanteuse et compositrice grisonne se voue aux chants populaires en rhétoromanche. Corin Curschellas réinterprète de vieux chants romanches auxquels elle donne une note de fraîcheur et de modernité. Dans son livre de chants « La Grischa » (2013), elle retravaille des chants populaires romanches célèbres et met en perspective cet héritage. Elle réalise ses propres projets pour la scène, le théâtre et des festivals et utilise une grande variété de styles de musique, d'instruments et de langues dans son travail en collaborant avec des formations diversifiées (p.e. Vienna Art Orchestra). La musicienne grisonne a reçu le prix de reconnaissance de la ville de Coire et du canton des Grisons.
Née en 1962 à San Francisco, Erika Stucky passe son enfance dans le Haut-Valais. Après des études de jazz et de chant à Paris et d'arts dramatiques au « State College » de San Francisco, elle chante dans différents groupes, dont « The Sophisticrats », une formation a-capella (avec basse) qui se produit en Europe et en Afrique. En 1997, elle fonde le groupe « Mrs. Bubbles & Bones », avec lequel elle donne de nombreux concerts tant en Suisse qu'à l'étranger. Sur scène, Erika Stucky mêle différentes influences musicales, alliant de manière expérimentale des éléments de la musique populaire avec du jazz, du blues, du rock et de la folk. Pour récompenser son œuvre musicale, Erika Stucky a reçu notamment le prix suisse de la scène, le prix culturel de la Ville de Zurich et le prix culturel valaisan.
Franz Treichler est né à Fribourg en 1961. Il sort des classes de virtuosité de guitare classique du conservatoire de Lausanne en 1983 pour se consacrer aux musiques électriques. Il est à l'origine de l'ouverture de la salle de concert Fri-Son et activiste du mouvement rock et alternatif du début des années 80. En parallèle, il fonde en 1985, The Young Gods, groupe qui sera cité comme influence notamment de Nine Inch Nails, U2 ou David Bowie. Leur carrière dépassera largement les frontières nationales, notamment suite à leur signature sur le mythique label étasunien Interscope. Ils tournent dans le monde entier pendant plus de vingt-cinq ans. A côté des Young Gods, Franz Treichler, poussé par son envie perpétuelle d'évolution et sa volonté incessante d'aller plus loin, travaille sur une multitude de projets. Il est directeur musical de la compagnie Gilles Jobin (danse contemporaine), produit de nombreux albums, met en musique des films muets issus du mouvement Dada, fait partie d'un collectif de musique électronique, sonorise diverses expositions et part enregistrer les musiques indigènes traditionnelles dans la forêt amazonienne.
Mama Rosin fait partie du paysage romand depuis 2007. Les trois Genevois Robin Girod, Cyril Yeterian et Xavier Bray n'ont pas choisi le parcours « classique ». Ils sont d'abord partis confronter leur musique à son origine, dans les bayous de la Louisiane, afin de remonter aux sources. Signé sur le label Voodoo Rhythm, ils ont ensuite écumé l'Europe, puis l'Amérique du Sud et l'Amérique du Nord. En 2009, ils fondent leur propre label « Moi j'connais records », qui compte aujourd'hui 19 références dont des groupes prometteurs de la région.S'ils font partie de la jeune génération d'artistes, ils ont déjà plusieurs cordes à leur arc, dont une distribution aux Etats-Unis. Ils sont surtout très actifs dans la promotion de la scène locale. En 2013, ils reçoivent le prix « Best Album of the Year » aux Independent Music Awards pour leur album « Bye Bye Bayou ».
Dragos Tara est né en 1976 à Bucarest. Il a étudié la contrebasse aux conservatoires de Montreux et de Lausanne, puis la composition instrumentale et électronique aux conservatoires de Genève et de Paris. La musique de Dragos Tara puise ses influences dans les musiques populaires en général (rock, folk, pop, Europe de l'Est, Afrique de l'Ouest, quelques musiques asiatiques), dans les musiques expérimentales au sens large (musiques improvisées, musique des milieux alternatifs, musiques « brutes » ou « noise »), mais aussi dans les compositions contemporaines savantes (György Ligeti, Helmut Lachenmann, Iannis Xenakis, etc.). Dragos Tara envisage le son comme un facteur de lien social et le compositeur comme quelqu'un qui réinvente les nœuds relationnels selon chaque situation. Ce qui veut donc souvent dire inventer autre chose que le dispositif de concert (performance physique, installation sonore, documentaire sonore), et ce avec des musiciens professionnels, non professionnels ou en dehors de sa propre discipline. Le processus de collaboration est évidemment essentiel et se déploie dans la mesure du possible sur une longue période.